A Montpellier, des jeunes ont transformé un vieil immeuble en lieu de vie.
Ils ont un nom à faire peur mais des bouilles d’agneaux inoffensifs : Grraou pour Grand Refuge révolutionnaire anarchiste ouvert à l’unanimité. «En fait, précise tout de suite Joan, le mot révolutionnaire est un peu exagéré. Nous sommes plutôt libertaires, avec un grand désir de vie commune et conviviale.» Joan a 25 ans, il est étudiant en sciences politiques à l’université de Montpellier. Comme Judith et Quentin. Avec Colas et quelques autres, ils squattent depuis janvier un immeuble désaffecté dans une ruelle du vieux Montpellier. Au-delà du logement, leur idée est d’en faire une sorte de maison populaire de quartier «pour renouer avec des formes de solidarité qui disparaissent». «Un lieu accueillant pour ceux qui ne veulent pas rester isolés, séparés les uns des autres.» Un lieu enfin qui réponde aussi aux besoins des sans domicile fixe, qui «transhument» l’été en direction du soleil. A Montpellier, notamment. Pour toutes ces raisons, les Grraou sont bien décidés à se battre pour éviter qu’on les déloge.
Précaires. C’est Judith qui raconte : «On vit tous depuis des années avec des revenus extrêmement faibles. Joan n’a absolument rien, Colas court les boîtes d’intérim comme manoeuvre sur des chantiers, et Quentin et moi sommes boursiers sur critères sociaux, avec 380 euros mensuels pendant neuf mois. Avant, on vivait hébergés chez les uns ou chez les autres, ou même dans des fourgonnettes. Un jour, une copine nous a parlé de cet immeuble inoccupé. On s’est renseigné au cadastre, pour s’apercevoir que le propriétaire était la Serm [organisme HLM de Montpellier]. La porte était ouverte, on s’est installé.»
D’un coup, leur espace de vie s’est considérablement élargi. Car leur Grand Refuge… s’étend sur quatre étages d’une vingtaine de mètres carrés chacun. Pour la visite, c’est Joan qui s’en charge : «Nous habitons aux quatrième et troisième étages. Au second, nous avons une zone de gratuité, où les gens viennent déposer des affaires dont ils n’ont plus besoin, tandis que d’autres viennent se servir. Une zone hors de tout commerce marchand. Et au premier il y a la cuisine et une salle de réunion, dans laquelle peuvent dormir des personnes en situation d’urgence ou des voyageurs et des artistes de passage.» Pour le choix de ces hôtes de passage, c’est au feeling. Et si quelqu’un ne plaît pas, «c’est moi qui me charge de lui expliquer», sourit Judith.
Cette activité «sociale» constitue l’argument principal de leur avocat pour justifier le maintien de ses clients dans le logement de la Serm. «De plus, ajoute Colas, nous organisons chaque mois un repas de quartier, où chacun donne ce qu’il veut. La veille, on va récupérer les invendus au marché bio de la ville, que les commerçants, sympas, nous offrent volontiers».
Tous ont participé au grand rassemblement Larzac 2003, mais ont préféré la conférence européenne, l’année dernière à Belgrade, de la People Global Action. D’Attac ou de José Bové, ils n’ont «plutôt rien à faire», même s’ils admettent qu’«ils font des choses bien». «On a des affinités avec d’autres personnes qui vivent en squat à Toulouse, Grenoble ou Dijon. Mais on n’appartient à aucune organisation», dit Judith, regard franc sous mèches de cheveux rouges. «Nous partons d’une constatation très simple : il y a des gens qui n’ont pas de maison. Or, il existe plein de logements vides», ajoute Joan.
Expulsion. Face à ces jeunes aux contours insaisissables mais dûment surveillés par un officier des Renseignements généraux , la Serm semble gênée. D’autant plus que dans un voeu voté lors du conseil municipal du 30 mars, Hélène Mandroux, maire de Montpellier, avait clamé haut et fort que, «face à une crise sans précédent du logement dans notre ville […] où 60 % des habitants pourraient légitimement prétendre à un logement social et où des milliers de demandes restent insatisfaites tous les ans […], nous affirmons notre volonté de renoncer aux procédés d’expulsion». Pourquoi la Serm, détenue à 70 % par la ville de Montpellier et son agglomération, se permet-elle aujourd’hui de lancer une procédure judiciaire contre Quentin et ses amis ? Difficile de le savoir, surtout lorsque, contacté par Libération, Robert Subra, président de la Serm et élu PS au conseil municipal, refuse de s’exprimer.
Hier, les Grraou devaient comparaître devant le tribunal d’instance, assignés par la Serm. Dès 8 h 30, leurs amis étaient venus les soutenir en organisant un petit déjeuner avec café et crêpes (confectionnées à base de farine biologique) devant les grilles du palais de justice. Le juge, sur demande des avocats des deux parties, a finalement repoussé l’audience de quinze jours. Soulagement de Joan : «C’est toujours ça de gagné !»