JE SQUATTE , TU SQUATTES, ILLE SQUATTE…
DVD 1 : Film
A l’heure où l’été disparaît avec lenteur sur les côtes méditerranéennes, où le Soleil continue encore de nous chatouiller les aisselles avant de s’enfoncer dans un long sommeil, à l’heure où touristes affamés empruntent les grands axes bitumés pour retrouver le bonheur des métropoles, une joyeuse bande d’insouciants et d’irresponsables met également un terme à ses prospections nocturnes et c’est tous ensemble que leur cœur s’emballe à l’idée de déposer leurs bagages au 31, rue du Père Fabre à Montpellier, dont la porte de derrière a la bonne idée d’être ouverte, tandis que la clé de la porte de devant est dans la boite aux lettres.
Sourire aux lèvres et rage aux cœurs, ils se lancent dans un jeu d’empilement pour solidifier les portes en bois du garage, leurs bras se fatiguent fiévreusement et leurs chuchotements se font conspirateurs. S’entame alors une nuit de sommeil bien méritée, bien courte aussi. C’est que le travail ne manque pas ici ! Il faut profiter de cette douce journée pour ranger, aménager, explorer, sécuriser. Le café vient à manquer. La fatigue agite les paupières, ramollit les cuisses et secoue les ventres. Mais, passons ! Vous connaissez sans doute la chanson.
On se fait discrets quelques jours, la même chanson nous apprend à pouvoir justifier aux pouvoirs publics notre présence dans les lieux : on s’envoie du courrier qui finit par arriver.
Après que nous ayons gaiement accueilli les cop.ains.ines, voilà qu’arrive une personne dont la présence n’était pas réellement souhaitée : le propriétaire ! De ses cris et de sa colère semble ressortir l’idée qu’il nous faille partir au plus vite, sans quoi il fera appel à la force publique. Ce n’est que suite à un échange très cordial dont l’extrait sera retransmis plus bas que cet homme et son acolyte quittent la rue, penauds, acariâtres, sur les dents, vengeurs, contrits…
Un nouveau jour se lève sur la maison, et quand sont aperçus au coin de la rue, dans l’après-midi, le propriétaire et son frère en planque dans une voiture, on comprend vite que quelques heures sombres et agitées pointent doucement le bout de leur nez. Vite, vite, prévenir les ami.e.s… !
Et c’est alors que l’autorité nous fait grâce de sa considération impartiale en nous envoyant deux très jolis fourgons aux couleurs de la République. Six bonhommes en sortent, déjà colériques, et nous enjoignent de quitter promptement les lieux, sans quoi ils feront alors usage de la force. Ils nous demandent une preuve attestant notre présence sur les lieux depuis plus de quarante-huit heures, nous la leur fournissons, mais elle ne suffit pas à les convaincre. Les échanges commencent à soulever un fond de ressentiment entre les gais lurons et les représentants de l’Empire. Mais pour la petite histoire, le propriétaire ne l’est en fait pas ! La maison, composée de trois appartements, appartient en réalité à la SERM (Société d’Équipement de la Région Montpelliéraine) qui compte « rénover » le quartier au nom de la fameuse Opération Grand cœur, qui sous couvert de social cherche en vérité à embourgeoiser le centre et ses alentours. Hélas, là aussi, vous connaissez la chanson…
Toutes ces histoires de papier nous fournissent de précieuses minutes supplémentaires pour organiser la résistance. Des badauds attirés par les vociférations s’arrêtent, contemplent, « assistent au spectacle ».
Premier coup, une vitre brisée. Deuxième coup, une planche trouée. Un des soldats semble fier de savoir compter et dénombre avec fierté les occupants à travers ce trou qu’il vient de percer. Ça continue. Trois, quatre, cinq coups… Ils s’attaquent au garage maintenant. On commence à douter de la solidité de nos barricades, c’est qu’ils frappent bien fort les rigolos ! Et les quelques percées sont une possibilité pour eux de gazer les entrées. Alors on se retranche au premier étage, on ferme le verrou de la porte d’escalier et on s’entraîne pour la palme d’or du déménagement le plus rapide en entassant avec une vitesse effroyable meubles en bois et canapés.
On joue alors notre dernière carte : le toit. Et on s’y retrouve, à une petite dizaine, saluant la foule, appelant presse et avocats, au cas où… En bas, ça chauffe un peu. Si la majorité des présents semble soutenir ou simplement s’amuser de la situation, quelques-uns désapprouvent et le font savoir, pour les schtroumpfs c’est pas non plus la joie de nous voir grimper là-haut, ils se sentent un peu castrés pour le coup, d’autant que la barricade au premier étage leur tient tête.
En tout cas, sur les tuiles, ça tape sec, par chance on a une bouteille d’eau, mais on est partis pour se rationner. Quatre heures et demi à tenir au plus. On papote, on rigole, on réfléchit éventuellement à une fuite par les toits voisins, sans grande conviction. Au final, on a quand même un peu de chance, un mec de la SERM se pointe et leur dit qu’on va peut-être pas insister, c’est que malgré tout, une expulsion illégale, ça fait tâche sur le bilan municipal… Alors après trois quarts d’heure à suer et à péter des tuiles, on se retrouve victorieux et tout ce beau monde rentre vaillamment chez soi. On redescend, on dit bonjour aux
passants, étonnés, amusés, curieux, impressionnés. On rentre dans la maison, il y a des bris de verre un peu partout dans le couloir d’entrée et, joie ! La porte du troisième appartement qui nous résistait a été enfoncée par la police, leur venue aura été bénéfique au moins sur un point ! Une voisine nous aide à nettoyer le trottoir, jonché de débris, on discute un peu avec les gens qui, s’ils comprennent, n’ont pas pour autant envie d’être mêlés à tout ça.
On réinvestit les lieux, maintenant qu’ils sont passés et que d’après les dires même du vrai-faux propriétaire, le décompte des quarante-huit heures est écoulé, on pense être tranquilles, on est partis pour aménager vraiment le lieu à notre sauce et commencer les activités qui nous viennent en tête.
Encore, donc, une victoire de(s) (c)anar(d)s !
Dimanche 2 octobre à midi :
(Re)Pas de quartier ! Organisé au square du Père Bonnet, anciennement une maison squattée, expulsée par la SERM, laissée vide deux ans, rasée pour laisser la place à un terrain vague pendant deux nouvelles années, pour terminer par la construction d’une cellule verte dénommée «Square ».
DVD 2 : Bonus
Entretien constructif avec le proprio
« – On n’a pas de logements, et pas les moyens d’en avoir. Cette maison est inhabitée, on s’y est installé.
Inhabitée ? Non mais c’est une plaisanterie ? On vit ici !
Non, c’est faux. Le dernier occupant est mort il y a deux semaines et ne vivait même pas ici.
Je le sais, c’était mon père ! Vous violez notre propriété !
Non, la maison n’est pas à vous, c’est la SERM qui l’a rachetée, mais si vous voulez récupérer vos affaires il n’y a pas de problème.
On veut que vous dégagiez d’ici ! C’est chez nous, on va appeler la police ! Si vous voulez un logement vous n’avez qu’à travailler ! Nos parents se sont battus pour avoir cette maison !
On ne veut pas travailler, ce système ne nous convient pas !
Et ben nous ce système il nous va, on a cotisé, on y a participé, on a droit à ça ! Si vous voulez pas rentrer dans le système, c’est pas notre problème, dégagez ! »